
POSTFACE
L’usage généralisé de la contrainte à l’Oulipo répond à des exigences multiples ; que la contrainte soit inédite ou qu’elle vise à remettre en lumière une contrainte ancienne inventée autrefois par un « plagiaire par anticipation » et plus ou moins oubliée depuis.
La contrainte agit d’abord comme un stimulant de la création : bornant l’imaginaire, elle fait paradoxalement prendre conscience à l’écrivain de l’étendue de sa liberté, d’où son efficacité en matière de production du texte. Le texte jaillit, ici et maintenant, poussé par une nécessité externe qui permet de lutter contre les vents internes qui pourraient se montrer contraires.
La contrainte permet ensuite de remettre en cause les formes de textes, établies par soumission collective (consciente ou inconsciente) ou par habitude du temps. Elle est alors un outil de questionnement de la forme et du sens. Les « lourdes chaînes du sens » passent au second plan et on peut ainsi voir comment la contrainte choisie malmène ce sens et lui donne une chance de se renouveler.
Très grossièrement, on peut dire que les oulipiens pratiquent la contrainte de deux façons : tout d’abord en produisant des modèles, le plus souvent légers, qui montrent la faisabilité de la contrainte et explorent son potentiel joueur. Ce sont les textes qui paraissent dans la « Bibliothèque oulipienne » ou qui sont lus en public dans les nombreuses manifestations où les oulipiens sont invités.
Lorsqu’il s’agit, en revanche, d’asseoir une œuvre longue sur une ou des contraintes, il est évident que l’usage doit toucher aux couches profondes du sujet. La contrainte devient une partie intégrante de l’œuvre. On a assez dit, après Bernard Magné, que l’absence de « e » dans La Disparition de Georges Perec était en vérité, sans « eux » - sans les parents de Perec, mort à la guerre pour son père et en camp de concentration pour sa mère. On sait aussi que les coups du jeu de Go et une réflexion sur la forme sonnet sous-tendent le € de Jacques Roubaud. On sait aussi comment le graphe qui organise son Grand Incendie de Londres est un reflet précis et mathématique de ses allers-retours de mémoire… Tout ceci pour ne rien dire des fondations profondes qui soutiennent l’immeuble de la Vie Mode d’Emploi de Perec.
Lorsqu’il s’est agi, plus modestement, pour moi de fabriquer le désordre des destins possibles de mes héros africains dans Chamboula, j’ai dû faire appel à un arbre binaire que j’ai laissé proliférer, tant il est vrai que seul la règle génère bien le désordre en le délivrant de l’ordre inconscient du monde.
Pour la Liseuse, il m’est apparu que le sujet impliquait une réflexion sur l’avenir de la lecture. Comme je l’écris dans le texte, il est probable qu’une des figures possible de la lecture de demain est celle de l’interaction : le lecteur entrera dans le corps du texte pour le modifier à sa guise, ne se contentant plus des marges et se rapprochant du travail de l’auteur.
C’est pourquoi j’ai décidé de donner au livre (sans doute un des derniers de son espèce) une forme fixe, mesurée au signe près afin que quiconque y entrera pour en changer une lettre en anéantira le projet.
Ce texte épouse donc la forme d’une sextine, forme poétique inventée au XIIe siècle par le troubadour Arnaut Daniel. Il en respecte le nombre des six strophes et la rotation des mots à la rime. Les mots : lue, crème, éditeur, faute moi et soir tournent en fins de vers selon l’hélice classique de la sextine.
Les vers sont mesurés. Comme ils servent à conter le destin d’un homme mortel, cette mesure subit une attrition (boule de neige fondante) : la première strophe est composée de vers de 7500 signes et blancs, la deuxième de 6500 signes et blancs et ainsi de suite jusqu’à la sixième qui comporte des vers de 2500 signes et blancs. L’ensemble constituant un poème de 180 000 signes et blancs.
THE ROAD
Long and boring road
Long and boring corn
Long and boring wind
Long and boring girl
Sleepin' and sleepin'
In the car
Long and dirty darkness
Long and boring job
Long and boring night
Round and boring moon
Long and boring life
Running out of gas
Running out of Roses
Long and boring road
Long and boring me
IN A DIVE
Full bottle of Roses
Full bottle I say
Don't be cheap barmaid
It's a man who drinks
A real one fresh from the road
Bottle half empty
Feeling much better
Bottle half empty
Feeling much stronger
Bottle half empty
Feeling much wiser
Bottle half empty
Feeling much meaner.
How not to pay
Having no money
Now goes the tune
THE SINGER
The blonde singer sings
Bad country songs
In the sad cafe
And at midnight stops
Take her for a ride
Windows down
Music up
Still in the lot
And then the blast of a guitar
In the face
Guitar blows everywhere
Bloody guitar
Exploding my head
Stratocaster at least
With Lead Guitar himself
At the end of the neck
Jealous rock
THE DAY AFTER
Scabs on my bald head
Drops of blood
Itching my Yijin
On the road again
Soft springings
Shitty old brakes
What will happen at the end of the quarter mile?
Ready steady go, headache!
Burn your tires
Loose the grip
Spin your head
Kaddish!
Grab the wheel
Push the throttle
Keep an eye open at least
Till the finish line
Tous les lecteurs de la Beat Generation connaissent les poèmes de Jason Murphy, mais le bruit court qu'il aurait composé un romain, écrit sur un rouleau avant même le célèbre Sur la route de Jack Kérouac. Certains affirment que le professeur Marc Chantier l'aurait eu un moment en sa possession. Un éditeur et une étudiante s'envolent sur la trace du fameux « scroll » de Paris à San Francisco. Chacun a ses raisons, chacun a ses chemins, chacun a ses moyens et c'est à qui arrivera le premier... |
Un recueil de nouvelles est paru aux éditions Dialogues qui s’intitule Manières douces et qui est signé d’un certain Profane Lulu.
Laissez-moi sortir du placard et vous dire que Profane Lulu, c'est moi. Ses Manières douces sont les miennes et le beau Profane n'est qu'un personnage de plus dans ma collection.
On peut aujourd'hui écrire d'amour librement dans un livre, point n'est besoin de se cacher. Je ne me suis pas privé de le faire dans le passé et j'aurais tout à fait pu signer Manières douces de mon nom. Je ne l'ai pas fait par jeu, pour m'inscrire dans une tradition qui a longtemps voulu que les auteurs de textes d'amour et de sexe se voilent la face pour cacher leur audace et plus sûrement pour s'éviter quelques ennuis.
Et puis il faut avouer que l'oulipien que je suis a eu le plus grand plaisir à brasser les lettres de son nom pour sortir du chapeau d'anagrammes le joli Profane Lulu.
Aurais-je écrit les mêmes textes que lui ? Je l'ignore mais j'imagine que mon clavier a été aussi le sien et que sa contribution est réelle. Sans lui, en tout cas, je n'aurais pas connu Adèle et je n'aurais pas su si bien l'habiller et si bien la décrire.
Ce choix est également et plus secrètement, celui d'une sourde inquiétude. Le politiquement correct, l'écologiquement correct, le sexuellement correct me terrifient et je vois trop bien comment à leur traîne risquent de ressortir les vieux serpents de la censure. Ils auront sans doute une nouvelle sorte de venin, une nouvelle longueur de queue et un nouvelle couleur de peau, mais on les reconnaîtra.
Alors pour le moment, je joue mais je souhaite que ça dure.